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POUR EN FINIR AVEC READY PLAYER ONE

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Paru en 2005, l'ouvrage d'Ernest Cline faisait figure de validation ultime du geek obsessif (pour ne pas dire "nerd" ou "otaku") ou comment les personnes les plus avantagées pour gagner la gigantesque chasse au trésor qui sert de ligne directrice au récit sont celles qui peuvent débattre mille ans de détails triviaux de la pop culture ou ont passé des heures à jouer à des jeux vidéos. Comme si l'auteur disait à travers l'organisateur du jeu que seuls les geeks sont dignes et méritent de remporter le prix. "Et les faibles hériteront de la Terre..." Injustement décrié comme étant limité à une avalanche de name-dropping, le matériau de base, assez léger au demeurant mais aux thématiques traitées avec sincérité, se prêtait à merveille à une adaptation qui saurait parfaire le récit pour le transcender. Derrière les aperçus du film que les détracteurs dénoncent comme un énième exemple du culte de la nostalgie et du manque d'originalité et qui affolent les amateurs par leurs money shots incroyables se cache un film dont beaucoup ne retiendront que les apparences simples et le divertissement étourdissant, passant à côté de toute la densité de fond et de forme d'une oeuvre qui parvient à se faire touchante et intime entre deux morceaux de bravoure. Derrière les bastons de robots géants, il y a des êtres humains et c'est là que Ready Player One rejoint ce qui anime Steven Spielberg depuis toujours : la communication et les liens qui nous unissent les uns aux autres. Une célébration de l'expérience commune, qu'elle soit physique dans une salle de cinéma ou virtuelle, derrière nos écrans, doublée d'une mise en garde vis-à-vis des dangers de la fiction et du simulacre.

 

Comme dans Le Pont des espions, Spielberg cristallise son propos en une image dès la première séquence du film. Nous sommes dans le monde réel et le jeune héros traverse cet incroyable décor du quartier des "Piles", composé de caravanes posées les unes sur les autres, et passe devant autant de demeures dont on peut voir l'intérieur par le biais d'une fenêtre, révélant le résident vêtu d'un casque de réalité virtuelle vivre des aventures qu'on ne voit pas. Spielberg affectionne particulièrement les cadres dans le cadre et celui-ci fait plus que jamais office d'écran de cinéma. Et le résident devient ainsi acteur de son propre film. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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J'ai mesuré et la fenêtre est carrément au format 2.35 là.

 

La mise en abyme entre l'expérience du personnage (qui se connecte à une machine et se projette ailleurs, en quelqu'un d'autre, dans un "autre monde" ou presque) et celle du spectateur (qui rentre dans une salle, met ses lunettes 3D le cas échéant, et se voit projeté ailleurs, un autre monde) est inéluctable. C'est le film d'un homme qui a plus que jamais foi en son medium, en son art, et sur l'envie que l'on ressent tous de s'évader dans ce genre d'ailleurs, ce genre de monde. Qui n'a jamais rêvé de vivre dans le monde d'un de ses films préférés? De toute façon, avec son catalogue de références, Ready Player One ne pouvait pas ne pas être, entre autres, un film sur le cinéma. 

 

Après avoir acheté les droits de Ready Player One, la Warner a courtisé des cinéastes tels qu'Edgar Wright, Matthew Vaughn ou Christopher Nolan pour réaliser le film. La différence entre ces metteurs en scène et Steven Spielberg, c'est que ce dernier n'a pas grandi avec les références évoquées dans le livre. Au contraire, pour certaines, il les a créé lui-même. Ce fossé générationnel permet à Spielberg d'avoir du recul sur son sujet. Non seulement il a gommé la plupart des clins d'oeil à ses films ou ses productions mais il adopte une position qui n'est pas celle, par exemple, des frères Duffer, les créateurs de la série Stranger Things qui s'apparente souvent à du cosplay filmique où le duo s'amuse à rejouer des scènes de leurs films préférés. Le regard de Spielberg n'est donc pas celui d'un fan mais se porte justement SUR les fans pour questionner ce type de positionnement superficiel. 

 

Dans le 2045 de Ready Player One, tous ceux qui se connectent à l'OASIS se parent de références à la pop culture des années 60 à 2016 parce qu'il s'agissait de la culture de son créateur, James Halliday, mais cette réalité est tout autant un constat sur l'industrie d'aujourd'hui, de plus en plus dans le recyclage. Comme si en 2045, plus rien de neuf ne sera sorti depuis 30 ans. Penser que Spielberg allait donner dans l'indulgence nostalgique, ou comme les fabricants de Godwin Points cinéphiliques aiment dire, le "film-doudou", ou bien faire de la bête condamnation luddite c'est oublier que Spielberg est ce cinéaste accusé d'ambivalence morale à propos de Munich parce qu'il osait montrer chaque camp aussi sanguinaire que l'autre. Parfois, les débats autour de la pop culture ou du geekisme peuvent s'apparenter à une guerre des tranchées aussi stérile que le conflit israëlo-palestinien. Pour l'un comme pour l'autre, les spectateurs les plus limités attendront de Spielberg une position tranchée alors qu'il est le cinéaste de la communication. Ce qui l'intéresse donc dans la possibilité proposée par Ready Player One, c'est la communication non plus entre deux personnes, deux races, deux espèces ou deux camps mais entre deux réalités. 

 

La relation entre monde réel et monde virtuel s'inscrit dans la lignée des précédents films de Spielberg sur le rapport à la fantaisie. Une fois de plus après Les Aventures de Tintin et Le BGG, Spielberg a recours à la technique de la performance capture. Dans Tintin, un journal donne la date du 12 décembre 1944 mais certaines voitures aperçues dans le film sont plus récentes. En réalité, le film est délibérément situé hors du temps. À vrai dire, il est tout simplement hors-réalité. On n'est pas le monde réel. L'histoire se situe en 1944 mais il n'y a aucun signe de la guerre et tous les personnages ont des gueules à la Hergé. La performance capture souligne ce parti-pris. On est quasiment dans de la peinture hyper-réaliste et l'esthétique du film laisse l'impression d'être dans un rêve. Ce rêve, c'est celui de Spielberg. Et Ready Player One explicite cette idée. L'animation photoréaliste est probablement ce qu'on peut avoir de plus pur comme manifestation de l'imagination de Spielberg. Le fléau de tout réalisateur, de tout artiste en fait, est de réussir à obtenir après tournage et montage et post-production un résultat le plus proche possible de ce qu'il avait en tête et le procédé adopté sur ces deux films permet précisément cela à Spielberg. Nul doute que son fidèle directeur de la photographie Janusz Kaminski a apporté son expertise mais c'est Spielberg lui-même qui est crédité comme "lighting consultant" sur Tintin et il dit qu'il ne s'est jamais senti aussi proche d'un peintre que sur ce film. Comme lors de l'incroyable poursuite en plan-séquence de Bagghar, le cinéaste laisse le plus libre cours à son imagination pour les scènes d'action dans l'OASIS. "Anything goes" comme chantait Willie Scott dans Indiana Jones et le Temple maudit. Que ce soit cette course de voitures virevoltante qui renvoie tous vos jeux de bagnoles et leurs pièges aux oubliettes ou bien l'assaut final qui fait figure de chaînon manquant entre Le Retour du Roi et Pacific Rim, Spielberg vient mettre "fin au game" comme on dit. Une fois de plus, la performance capture permet l'expression sans filtre du "ça" de Spielberg et c'est particulièrement à propos dans Ready Player One où l'OASIS est un monde de fantaisie "où on peut être qui on veut". À ce titre, sans que l'on s'attarde jamais dessus, le character design en dit long sur la psyché de chaque personnage, du héros mi-Final Fantasy mi-clip de "Take On Me", de son amie noire lesbienne qui se voit en "cyborc" mâle, l'héroïne mi-manga mi-punk, et ce bad guy qui s'imagine comme une version testostéronée de lui-même (l'éternelle critique du virilisme chez Spielberg), quelque part entre Mr. Bison et Clark Kent.

 

Toutefois, Spielberg montre son ambivalence d'entrée de jeu. Une des choses qui m'a le plus surpris, c'est l'absence totale de musique sur la scène de la course. Quand Spielberg se passe de musique sur l'attaque de la jeep dans Jurassic Park, c'est plutôt évident mais là c'est tellement atypique pour ce genre de scène que ça crée quelque chose de plus intense encore, comme si la scène se refusait d'être "simplement" fun pour se faire terrifiante, pour focaliser l'attention du public. L'absence de musique laisse le spectateur sans recours, "sans défense". Chaque aperçu de cette plongée dans la psyché de Spielberg, parce que c'est plus que jamais de ça qu'il s'agit, dans l'ambivalence constante entre rêve et cauchemar, me hante encore. Cette présentation foisonnante, presque agressive, cette course chaotique sans règles où des mecs sont brutalement réduits à l'état de pièces comme ils l'étaient à l'état de cendre dans La Guerre des mondes, course abrutissant les sens comme les boules de démolition s'en prenant aux pilotes, quand ce n'est pas un dinosaure ou un gorille géant, inscrivant d'entrée de jeu les épreuves dans l'horreur, avant même la déjà célèbre seconde épreuve et sa virée dans l'hôtel Overlook.  De la planète Doom toute entière dédiée à un FPS deathmatch géant dont la mise en scène rappelle la séquence des tranchées de War Horse jusqu'au camp de travail qui renvoie à ceux de La Liste de Schindler, sans oublier la baston finale où, littéralement, tout le monde crève, pour tout ce qu'il dit du rêve, Spielberg montre souvent l'OASIS comme un cauchemar. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De tous les personnages de Spielberg, Roy Neary de Rencontres du troisième type est le seul pour qui le salut se trouve dans la fantaisie, dans cette évasion vers un monde fantastique, autre que le notre. Tous les autres protagonistes spielbergiens, notamment les enfants, doivent apprendre à grandir, et ce dès E.T. où Elliott doit laisser l'extra-terrestre rentrer chez lui. Pareillement, Jaime apprendra à la fin d'Empire du Soleil que ce n'est pas l'âme de Mrs. Victor qu'il a vu s'élever dans le ciel mais la lumière de la bombe atomique. Et dans Hook, Peter Pan aura beau s'être rappelé son enfance et donc le pouvoir de son imagination, il choisit de retourner dans le monde réel, assumer ses responsabilités (de père). Parce que si la fantaisie du Pays Imaginaire lui est salutaire, "le Pays Imaginaire te fait oublier" dit la petite Maggie à son frère Jack. Et il en va de même pour l'OASIS. On peut fuir la réalité et se réfugier dans l'illusion comme Frank Abagnale se créé des avatars dans Arrête-moi si tu peux mais il vaut mieux en ressortir grandi et utiliser ce pouvoir à bon escient. Le propos de Ready Player One ne diffère pas et fait littéralement de la pop culture une arme pour survivre. 

 

C'est là que le film se fait le plus subversif. En cette ère de frilosité où le maître-mot est le brand name recognition (la "reconnaissance d'une marque" de la part du public), la Warner a beau vendre le film par le biais du crossover de licences et autres clins d'oeil, le film fait l'éloge d'un monde où le public se réapproprie ses références et s'en sert pour non seulement se définir mais combattre une mégacorporation afin d'en garder les droits. Un studio peut acquérir les droits de toutes les licences qu'il veut, les œuvres appartiendront toujours au public. Même si ce public remplira les poches de la Warner en allant voir le film, le méchant dirigeant de la mégacorporation IOI, qui dit textuellement que leur but n'est pas de "rendre les investisseurs heureux mais riches", représente tous ces dirigeants de studio qui ne comprennent rien aux licences qu'ils gèrent et à qui il faut souffler les références. 

Ah mais c'est vrai que c'est dans cette séquence que le héros dit "a fanboy always knows a hater" donc c'est de la merde I guess.

PS : how do you know someone's a hater? ses critiques se contentent souvent de citer une réplique qu'il trouve ridicule comme s'il s'agissait d'un argument.

 

Outre son rapport à la nostalgie et au brand name recognition, Ready Player One s'avère également pertinent et actuel dans l'analogie qu'il présente avec la loi sur la neutralité du net qui vient d'être abrogée aux États-Unis. Dans le film, IOI veut obtenir les droits de l'OASIS pour le rendre payant. La réalité virtuelle ne symbolise donc pas uniquement le septième art mais également, et sans doute même avant tout, internet. L'OASIS n'est pas qu'un espace de jeu, c'est aussi un réseau social grandeur nature. Il y a encore peu de temps, on pouvait toujours se sentir embarrassé face à la question "comment vous vous êtes rencontrés?" de devoir répondre"sur le net". Ready Player One valorise cet autre univers pour la simple et bonne raison que les amis que l'on s'y fait et les romances qui peuvent y naître ne sont en rien inférieures aux amis et aux romances qui se font en live. Dans le livre, un chapitre entier reprend une discussion par messagerie instantanée entre le héros et la jeune femme pour qui il développe des sentiments et l'échange sonne magnifiquement, tristement, drôlement vrai. C'est un connaisseur qui écrit et la véracité n'en est que plus forte. Le film adapte en une scène de boîte de nuit où les deux personnages peuvent se "toucher" par le biais de leurs combinaisons haptiques ce même trouble que l'on peut ressentir chacun derrière son écran, à des kilomètres de son interlocuteur. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si l'OASIS, et donc le cinéma ou internet, est un refuge bienvenu pour personnes mal-ajustées ou opprimées, le film rappelle qu'il ne faut pas "s'y perdre" (et par conséquent, en filigrane, les dangers de rester coincé dans sa nostalgie). Le vrai contact se fait dans le monde réel mais il peut faire suite à un premier contact virtuel. Après le pessimisme d'A.I. et Minority Report, Spielberg signe un film de SF optimiste qui semble le réconcilier avec le simulacre tant qu'il n'est pas une illusion. J'ai pu lire ça et là que le film était "réac". C'est complètement con. Les gens réduisent le message du film à un "va prendre l'air" de vieux papy et passent à côté de ce que le film dit.

 

Il était inévitable que Spielberg entame tôt ou tard la phase "film de vieux" de sa carrière, qu'on peut situer globalement à Indiana Jones 4. Je ne parle pas de qualité ou de mise en scène mais de propos. Ce Jones vieillissant qui apparaît plus dépassé qu'à l'accoutumée (par le réel de la bombe et par l'improbabilité des extra-terrestres), qui se case enfin, qui se découvre père et doit en assumer la responsabilité, c'était les prémices du courant à venir dans sa filmographie, notamment avec le triplé The BFG/The Post/Ready Player One

 

The BFG c'est l'histoire d'un Peter Pan qui a grandi, d'un E.T. qui a perdu son Elliott mais aussi celle d'un géant qui refuse la consommation (littérale) du petit peuple et préfère le divertir ou l'inspirer. La lecture métafilmique est inévitable tout comme l'aspect autobiographique. Au bout de 30 films, les thématiques récurrentes de Spielberg sont désormais connues de tous. La communication a toujours été LE thème sous-jacent de toute sa filmographie, que ce soit celle entre les humains et les extra-terrestres ou celle entre Israëliens et Palestiniens. Cela dit, depuis quelques films, l'auteur parle plus spécifiquement de communication par le biais du storytelling - Tintin qui n'a de cesse de dire "I'm always looking for a good story. That's my job", Lincoln et ses anecdotes pour amadouer ses interlocuteurs - et The BFG est la première fois qu'il parle aussi frontalement de sa propre fonction de conteur d'histoire. D'ailleurs, j'aime ce que le film dit des rêves mais également des mauvais rêves, qu'ils sont là pour nous préparer, nous protéger, qu'ils sont un mal pour un bien. Un peu comme les compromis nécessaires au progrès de Lincoln

 

Si la notion d'un vieil homme chassant les rêves pour les insuffler aux enfants ne suffisait pas, l'analogie est complètement assumée par cette séquence où ledit rêve est fabriqué en prenant l'allure d'un zootrope. L'antre du BFG, c'est l'usine à rêves qui donne son nom au studio co-fondé par Spielberg. Par conséquent, si le géant représente Spielberg, alors il est ce Peter Pan qui a grandi, cet E.T. qui a perdu Elliott...ce conteur à la recherche de l'enfant en soi. Spielberg est autant le géant que la petite fille et The BFG, le dialogue entre un cinéaste et la magie de ses films d'antan qu'il cherche à retrouver. C'est moins un film qui cherche à refaire E.T. qu'un commentaire sur la démarche elle-même. On n'est pas très loin du propos sur les dangers de la nostalgie de Ready Player One.

 

 

 

 

 

 

 

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Ready Player One se termine (si l'on exclue un épilogue un poil superflu/explicatif/let's wrap things up comme un carton de fin filmé mais je reviendrai sur cette maladresse) sur une scène où, à l'issue de la dernière épreuve, le héros ne se retrouve non plus dans un monde de fiction mais dans un de ces souvenirs de James Halliday qu'il analysait pour trouver son "Rosebud". Ou plutôt un souvenir recrée, avec un Halliday qu'on nous dit être bien mort mais également ne pas être un avatar (la fin d'A.I. n'est pas loin du tout), et qui est accompagné...de son soi enfant. "I keep him around" dit Halliday, comme une nécessité, quelque chose à ne pas oublier. À la fin de la scène, après qu'Halliday vieux a donné l’œuf à Parzival, Halliday enfant finit sa partie de jeu vidéo et Halliday vieux quitte la chambre en lui intimant de venir, léguant l'OASIS à Parzival. 

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Ready Player One, c'est Spielberg qui s'inquiète de son héritage.  Pour la deuxième fois, Rylance représente Spielberg le Créateur et évoque encore plus frontalement la question de la responsabilité...qui était déjà au cœur de The Post.

 

L'appellation "films sérieux" affublé aux drames historiques de Spielberg est relativement bête. Même ses films de divertissement sont "sérieux". "Drame historique" serait plus juste. La Liste de Schindler n'était pas le premier de ces drames historiques mais il était le premier à témoigner, au travers de son protagoniste mais également de l'approche de son auteur, de cette responsabilité qui lui incombe. Un devoir, en tant que cinéaste le plus célèbre, en tant que nom qui attire les foules plus qu'aucun autre. C'est le vrai tournant entre ses drames historiques d'avant et ceux d'après, je dirais. Je me dois de parler de l'Holocauste. Je me dois de parler du conflit israëlo-palestinien et du terrorisme. Je me dois de parler de la liberté de la presse et de l'oppression patriarchale. 

 

Il ne s'agit donc plus de la communication entre ses personnages mais de la communication entre l'artiste et le public. Et le parallèle n'a jamais été aussi marqué que dans The Post, où l'histoire qui est contée n'est autre que l'Histoire. Lincoln avait pour responsabilité de diriger le peuple. Le Bon Gros Géant avait pour responsabilité de le divertir. Le Washington Post a pour responsabilité de l'informer. Le Bon Gros Géant + le Washington Post = Steven Spielberg. Il a juste choisi un autre support pour raconter ses histoires mais peu importe le média, la communication reste la meilleure arme.

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Le cinéma donc, est une arme. L'art, la culture, même pop, peut être une arme...si elle est correctement comprise et utilisée.

 

Et c'est la principale crainte de Spielberg. Dans le film, il est sans cesse question d’œuf caché et de clés à trouver mais Spielberg n'oublie pas que la véritable clé est toujours humaine. Tout comme Halliday craint que ceux qui se réfugient dans l'OASIS passent à côté de leurs vies comme lui, Spielberg craint que ceux qui se réfugient dans ses films, notamment ceux des années 80, qui ont forgé l'image de ce qu'est un film de Spielberg dans l'inconscient collectif, passent à coté de leur propos : la fantaisie aide à évoluer, elle n'est pas une fin en soi. Si The Post proposait une allégorie de la responsabilité que ressent Spielberg à informer son public via ses drames historiques, Ready Player One déroule le même programme mais pour ses films de fantaisie.

 

Les références ne portent pas sur la pop culture, et plus précisément les années 80, pour rien. D'ailleurs, les détracteurs qui se focalisent sur le name-dropping et passent donc complètement à côté du rôle que ça joue. J'ai vu des haters citer la réplique "C'est la moto de Kaneda dans Akira" pour railler le film...alors que le héros répond immédiatement "Forget the bike! I'm talking about the girl". Le même genre de réplique revient deux fois durant la deuxième épreuve quand le héros s'attache trop à sa référence en disant "y a pas ça dans Shining". Tout le mantra du film est de ne pas rester bloqué sur ses références (c'est parfaitement incarné dans cette séquence Shining justement où Spielberg ose pervertir un classique de manière abusée - ne serait-ce que dans l'improbable clash visuel entre les personnages en CGI et le décor analogique reconstruit en plateau - et il n'est pas question d'utiliser uniquement le décor mais plutôt l'idée de l'enfermement, du cauchemar, du mec - Torrance/Halliday - coincé ici pour toujours, "You've always been here" quoi). 

 

On peut attaquer cette séquence par tous les angles tant elle est riche, fascinante dans ce qu'elle révèle de Halliday le personnage ou de Spielberg lui-même, de son ambivalence, vis-à-vis de l'OASIS, de la nostalgie, de la fan-attitude, etc. Le "créateur qui hait sa création", ça rejoint le sous-texte sur le regret et les craintes de Spielberg vis-à-vis de ses films devenus cultes. C'est une des séquences les plus osées et surtout les plus chelou de toute sa carrière. Halliday/Spielberg qui plonge les candidats/ses persos dans un film d'horreur cauchemardesque représentant l'enfer du regret dans lequel il vit, ce souvenir le hantant encore aujourd'hui/dans un chef-d’œuvre autrement plus considéré que les films de la pop culture qui parcourent le reste du récit et par lequel il punit donc ses personnages nostalgiques (dont un qui n'a pas vu le film et qu'il choisit de suivre). Pffooo...c'est vertigineux.

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Les caméos de Freddy Kruger ou de la DeLorean sont cosmétiques mais quand le film fait vraiment référence à une œuvre, c'est toujours pour raconter quelque chose, qu'il s'agisse de l'utilisation du Géant de fer (qui ne voulait pas être une arme...mais est utilisé comme tel par ses fans) ou de Mechagodzilla (littéralement un faux, une contrefaçon de l'authentique, qui devient donc le robot de choix du méchant). Cette exploitation des références cristallise tout le propos du film : il faut se servir de de cette culture pour ce qu'elle véhicule, pas juste pour son imagerie. Malgré cela, certains spectateurs sont incapables de voir au-delà du clin d’œil et ont l'audace de reprocher aux autres de se palucher. La réplique de Luthor citée dans le film ("Some people can read War and Peace and come away thinking it's a simple adventure story. Others can read the ingredients on a chewing gum wrapper and unlock the secrets of the universe.") est on ne peut plus juste.

 

Quand on voit cette incompréhension du film par une partie du public, on comprend la peur de Spielberg. Et donc son potentiel regret. Il est au cœur de la nostalgie. Si les épreuves prennent l'allure de set-pieces renversants et revisitent les fleurons de la pop culture de façon amusante, l'enquête se mène dans des souvenirs. Le tout premier souvenir de Halliday que Parzival revisite, c'est le moment de la scission entre Halliday et son partenaire Ogden Morrow. Ce dernier dit à Halliday que leur création n'est plus simplement un jeu et qu'ils doivent en assumer les responsabilités. Halliday, qui se définit alors comme "rêveur", dit qu'il aimerait "retourner en arrière", ce qui servira d'indice à Parzival pour remporter la course, allant littéralement contre l'ordre établi. 

 

L'intelligence du scénario est aussi là, dans la manière de faire du regret la clé de chaque énigme, de l'incarner ainsi dans chaque épreuve, qui ne peut être remportée qu'en faisant à chaque fois ce que Halliday n'a pas pu faire (retourner en arrière pour l'épreuve 1, inviter Karen à danser à l'issue de l'épreuve 2, ne pas signer un contrat qui allait exclure son meilleur ami à l'issue de l'épreuve 3). Halliday voulait que celui qui gagne le jeu ne fasse pas les mêmes erreurs que lui. C'est la leçon instruite via son jeu. C'est même pas subtil, c'est carrément énoncé par Sam/Artemis juste avant le troisième acte quand ils essaient de résoudre la troisième énigme. "Halliday voulait que celui qui hérite de l'OASIS soit connecté avec les autres". Le vainqueur, aka celui qui sera le plus obsessionnel, est de facto celui qui a le plus besoin de s'entendre dire ça justement. Tout le cheminement du protagoniste, qui voit initialement Halliday comme un héros, est de finir le film en disant "Je ne suis pas Halliday" parce qu'il a bien compris ce que le mec a essayé de dire au travers de son jeu. Manipulateur, Halliday? Sans doute. Mais l'OASIS et la façon dont le monde l'utilise, s'enfermant dans une illusion hédoniste de cosplay apathique, sont antérieurs au jeu de Halliday et en sont probablement la raison. Un jeu cruel mais dont chaque épreuve est une leçon. Un mal pour un bien, comme les magouilles de Lincoln ou le cauchemar concocté par le BFG. D'ailleurs, c'est pourquoi je trouve que cet épilogue dans lequel Wade dit que l'une de ses seules mesures est de fermer l'OASIS deux jours par semaine, un détail sur lequel certains ont tiqué parce qu'il sous-entendrait que tous les opprimés qui voyaient dans l'OASIS un échappatoire sont condamnés à souffrir durant ces deux jours, est sans doute une maladresse, servant à montrer que le message a bien été compris et appliqué par le vainqueur (c'est plus symbolique qu'autre chose quoi), mais il ne faut pas oublier que l'OASIS n'est pas exactement internet mais une simulation qui risque de transformer les gens en humains du futur de Wall-E parce qu'ils se sont très vite désintéressés de monde réel pourtant en crise. 

 

C'est un compromis.

La mise en scène regorge de passerelles entre réel et virtuel, comme ce plan évidemment : 

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Mais également celui-ci, tout aussi zemeckissien : 

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Et il y en a mille autres, comme l'hologramme de Parzival dans le monde réel (dont l'aspect déstructuré, fantômatique, un peu comme la projection holographique des vidéos maisons du passé heureux d'Anderton dans Minority Report, souligne l'intangibilité, sa nature condamnée à n'être irréelle), suivi de ce champ-contre-champ entre deux réels séparés par des kilomètres, ou encore le coup des masques de visages réels par-dessus les avatars pour faire croire au réel alors qu'il s'agit d'une simulation...et tous stigmatisent ce compromis, cette cohabitation entre deux réalités, qu'il s'agisse de l'OASIS et du monde réel, internet et IRL, du point de vue de l'artiste et de la politique des studios, ou des œuvres et du public qui se les approprie. Spielberg est Halliday et cette pop culture, le monde qu'il nous lègue... Qu'en ferons-nous? Qu'est-ce que tu fais avec ce que cet outil (l'OASIS/Le cinéma/internet) te permet de faire? Tu te contentes de la vivre superficiellement, en te déguisant en ton perso préféré, ou ou en tireras-tu une leçon qui t'aidera à te battre pour tes valeurs et à établir un contact avec autrui? Est-ce que tu restes dans ta bulle ou tu communiques? Ready Player One c'est l'histoire d'un mec qui passe tout le film à dire "I don't clan" et finit par unir les utilisateurs de l'OASIS du monde entier.

 

Pour ma part, je suis sorti du cinéma et j'ai littéralement passé une heure sans bouger dans le froid à discuter du film avec des gens que j'ai rencontré via Twitter. C'est précisément cette expérience que le film capture et encourage. Et je trouve ça beau.

 

 

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